D’abord évoquée par Eric Schmidt (alors PDG de Google) en 2011, la “règle des quatre” serait le moteur qui repousse les limites de l’industrie du digital à chaque nouvel élan technologique.
Dans les années 1990, l’heure était à l’avènement de la micro informatique et les “Big Four” s'appelaient Microsoft, Intel, Cisco et Dell.
Dans les années 2000, internet arrive dans chaque foyer, le mobile devient le premier terminal et les 4 champions sont les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon).
Dans les années 2010, la nouvelle génération des “Big Four” se nomme les NATU : Netflix, AirBnB, Tesla et Uber. Des croissances dignes de start-up en early stage, des valorisations gigantesques (autour des 50 milliard de $ pour Uber et Netflix, des 25 milliards pour Tesla et AirBnB - nov 2015). Mais surtout, des business model disruptifs qui transforment le visage d’industries anciennes (télévision, hôtellerie, automobile, transport) qui se croyaient protégées des remous de l’innovation digitale.
En quoi ces NATU sont-ils devenus des symboles de cette disruption sectorielle d’un nouveau genre, et quelles conclusions en tirer ?
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La disruption par la technologie : Netflix et Tesla
Au départ, Netflix disrupte avec une vision business et pas seulement avec sa technologie. L’entreprise réalise que l’acteur principal du marché, Blockbuster Video, présente des limites : les frais de pénalités qui s’accumulent en cas de retard sur les retours et l’obligation de devoir conduire jusqu’à la boutique 2 fois en 24h généraient une grande frustration auprès des utilisateurs. Netflix la résout avec son service de location de DVD par livraison postale sur abonnement dès la fin des années 1990.
Dans le même temps, ils construisent ce qui sera longtemps au centre de leur proposition de valeur : leur algorithme de recommandations de films et de séries basées sur la notation. En 2007, l’année de la sortie de l’iPhone, Netflix digitalise son portfolio et sort son offre de streaming qui révolutionne les usages de consommation des contenus médias.
Le service Netflix, aujourd’hui, c’est toute la technologie web mise au service de l’expérience client : la simplicité du point & click pour consommer des contenus en qualité parfaite, quand on le souhaite, où on le souhaite (TV, mobile, ordinateur, …). D’abord plateforme de distribution, Netflix remonte aujourd’hui la chaîne de valeur avec ses propres productions. Celles-ci sont souvent saluées par la critique et parfois créées, comme House of Cards, en utilisant leur data sur les préférences des utilisateurs : casting, type de scènes, etc. C’est aussi cette culture de la data science qui fait la véritable force des productions Netflix et qui leur assure un avantage compétitif par rapport à celle des autres maisons de production.
Pour les produits de grande consommation comme les films ou les séries, la data a de plus en plus d’influence dans les décisions artistiques et le succès des show Netflix vont dans ce sens.
Netflix ambitionne désormais de devenir le meilleur service global de distribution de divertissement. La société semble engagée dans une course à la croissance en vue d’atteindre, à l'échelle mondiale, la taille critique nécessaire pour l’achat de droits en première diffusion à Hollywood. La disruption est en marche !
Tesla est potentiellement l’une des entreprise les plus disruptives aujourd’hui si l’on s’en réfère à la vision qui les anime : pousser toute l’industrie automobile dans la direction du 100% électrique, 100% autonome, et 100% énergie propre.
A l’heure où certains constructeurs pointent encore les limitations du tout-électrique pour promouvoir des solutions hybrides, Tesla a depuis longtemps fait le choix de ses convictions, en faisant sauter les uns après les autres tous les obstacles technologiques du 100% électrique. Récemment, un conducteur de Tesla S a réussi le record de conduire 728 kms en une seule charge de batterie.
Par ailleurs, Tesla pousse à outrance le principe de la voiture connectée, alliance de hardware et de software. Elle commercialise probablement les seules voitures au monde qui continuent de s’améliorer et de progresser après l’achat. En effet, un flot régulier de mises à jour, réalisées à distance parfois même sans que le conducteur s’en aperçoivent, corrigent des erreurs éventuelles et améliorent les performances de la conduite. Le plus notable de ces software updates a eu lieu le 14 octobre dernier : en quelques heures, Tesla a déployé sur des dizaines de milliers de véhicules une fonctionnalité d’autopilot assez révolutionnaire, comme le montrent plusieurs vidéos d'utilisateurs.
Les utilisateurs ne se trompent pas, et la fidélisation à la marque est impressionnante, lui garantissant aujourd’hui son avenir.
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La disruption par la plateforme : AirBnB et Uber
Contrairement aux deux entreprises précédentes (Netflix & Tesla), le véritable avantage compétitif d'AirBnB et Uber ne réside pas tant dans leurs technologies que dans la puissance de leurs plateformes. La valeur est créée et consommée par les utilisateurs eux-mêmes : ce processus de création de valeur est différent des modèles les plus courants, comme l’a montré Sangeet Paul Choudary (chercheur au MIT et à l’INSEAD). Il y a, selon lui, trois grandes approches pour créer de la valeur :
1- L'approche en "Pipe" (“tuyau” en anglais) est le schéma classique, partagé par l'immense majorité des entreprises. Ces entreprises créent elle-même la valeur (produit physique ou service), puis l'acheminent et la vendent aux consommateurs. La télévision, les constructeurs automobiles ou encore même l'éducation fonctionnent sur ce système de “pipe” : la valeur est créée en amont (contenus TV, voitures, contenus des cours), puis poussée et consommée en aval par les utilisateurs / clients.
2- L'approche de l’optimisation ou approche "GAFA" voit le jour au début des années 2000. Cette approche consiste d’une part à agréger toute l'information disponible et d’autre part à proposer, au bon moment, le produit ou contenu le plus en adéquation avec les besoins du consommateur. On peut retrouver cette vision dans le système de recommandation d'Amazon, la timeline optimisée de Facebook ou encore dans le concept même du moteur de recherche de Google (recherche par mots clés).
3- L'approche par la plateforme, enfin, est le coup de génie d’AirBnB et d'Uber. Ces entreprises conçoivent leur industrie en plateforme biface : d'un côté, des utilisateurs-producteurs qui créent la valeur (propriétaires, chauffeurs), et de l’autre, des utilisateurs-consommateurs qui l’achètent.
Face à une problématique de marché, chacune de ces approches va apporter une réponse très différente. Observons comment avec les exemples des verticales d’AirBnB et d’Uber :
1er exemple : l’industrie de l'hébergement touristiques et d'affaires
Problème : je dois me rendre dans la ville X et j'ai besoin d'un endroit où loger.
Solutions :
- Approche “Pipe” (Sheraton, Hilton, Accor) : achetons des terrains et construisons des hôtels. Et s'il n'y a toujours pas assez d’offres pour absorber la demande, agrandissons les hôtels, rajoutons des chambres.
- Approche “optimisation” (Kayak, Booking) : il y a beaucoup d'hôtels dans la ville X, mais le consommateur n'a pas forcément une bonne connaissance de l’offre. Agrégeons l'ensemble de l'information disponible, proposons un moteur de recherche et un système de recommandation pour que l'utilisateur puisse trouver la solution qui lui corresponde le mieux.
- Approche “plateforme” (AirBnB) : il y a beaucoup de gens qui cherchent à se loger temporairement, mais il y a aussi beaucoup de gens possédant des logements vides ou inutilisés pour des temps courts. Pourquoi ne pas simplement mettre ces personnes en relation ?
2ème exemple : l'industrie du transport
Problème : je dois trouver un moyen efficace et sûr de me rendre d'un point A à un point B quand je le souhaite.
Solutions :
- Approche “Pipe” (compagnie de taxi, transport en commun) : embauchons plus de taxis, créons de nouvelles rames de métro. Plus il y a de gens avec ce problème, plus il faut augmenter la capacité des moyens de transport.
- Approche “optimisation” (Citymapper, Google Maps, Cab Aggregator) : il y a beaucoup de solutions existantes mais le consommateur n'est pas au courant de l'ampleur des choix disponibles. Créons un système de recherche d’itinéraires qui présente aux consommateurs les différents moyens de transportation disponibles (taxi, voiture, transports publiques,...) pour aller d'un point A à un point B.
- Approche “plateforme” (BlaBlaCar, Uber): il y a beaucoup de gens qui ont besoin de se déplacer, mais il y a aussi beaucoup de gens qui possèdent des véhicules et qui pourraient transporter des passagers. Pourquoi ne pas les mettre en relation ?
Avec leur approche plateforme, AirBnb et Uber ont permis l’émergence d’une multitude de nouveaux fournisseurs de services pour résoudre des problèmes qui existaient depuis longtemps. La disruption vient ici de la création de valeur par l’utilisateur. Ces entreprises ont profité du double avantage que leur offre ce système :
- l’effet réseau, d’abord, avec la valeur de la plateforme qui croît à chaque nouvel utilisateur, et où la multitude de l’offre dresse une barrière à l’entrée contre la concurrence.
- le coût marginal zéro (ou proche de zéro), ensuite, puisque ce sont les utilisateurs qui enrichissent l’offre directement. Rajouter une nouvelle chambre sur leur site ne coûte à AirBnB que la somme dépensée pour l’acquisition d’un utilisateur-producteur (modique évidemment rapportée à celle de la construction, surtout pour un service qui encourage le parrainage et bénéficie d’un excellent bouche-à-oreille).
La recette de la disruption réussie : qualité, agilité, innovation
Si chaque entreprise du groupe des NATU a ses spécificités, elles ont toutes en commun trois attributs majeurs qui apparaissent déterminants dans leur succès.
1- La qualité absolue comme leitmotiv
Lorsque le consommateur a “goûté” à un service NATU, il lui est difficile de faire un retour en arrière. La satisfaction client est leur priorité business n°1.
Chacune de ces entreprises maîtrise parfaitement sa boucle de feedback, assurant une hausse continue de la qualité. Chez Uber, les usagers notent les chauffeurs, qui doivent rester au-dessus d’une certaine moyenne pour travailler sur leur plateforme. Ce principe de notation se retrouve aussi chez AirBnB, ce qui garantit la pérennité de l’écosystème (des hôtes respectueux reçus par des propriétaires attentionnés).
Chez Netflix, la qualité est d’abord celle de l’ergonomie et de l’expérience utilisateur de son application web et mobile. Mais aussi de ses productions maison, qui ont reçu un nombre record de nominations lors de la dernière saison des prix (ex-æquo d’ailleurs avec Amazon Instant Video, le “Netflix like” d’Amazon).
Quant à Tesla, ils produisent désormais les meilleurs voitures du monde d’après les associations de consommateurs américaines. Non pas les meilleures voitures électriques, mais les meilleurs voitures “tout court”.
https://twitter.com/ConsumerReports/status/636840603645575168
2- La vitesse et l’audace au service de l’ambition
“Move Fast and Break Things”. Le fameux mantra de Facebook (aujourd’hui remplacé) est particulièrement approprié à l’approche Uber & AirBnB. Puisque c’est la taille de leur plateforme qui représente leur principal avantage compétitif, ils mettent tout en oeuvre pour aller le plus vite possible et étendre leur réseau, en préemptant des nouveaux marchés avec un first mover advantage.
Dans cette course à l’expansion mondiale (qui justifie des levés de fond astronomiques), les considérations de légalité passent presque au second plan, sacrifiées sur l’autel de la vision du succès.
Chez Netflix, qui n’est pas connu pour avoir brûlé les étapes (combien de pays attendent encore avec impatience l’arrivée du service !), mais au contraire pour s’être toujours conformé à la législation, l’agilité a pris d’autres formes. Rappelons qu’au début, Netflix n’est qu’une entreprise de location de DVDs presque comme une autre. En 2000, ils proposent même en vain à Blockbuster Video de les racheter (pour 50 millions de dollars). Mais après ce refus, ils continuent, travaillent sur leur algorithme de recommandation, et attaquent le streaming au tout début de la courbe d’adoption. C’est ce pivot visionnaire vers une technologie naissante, dont Netflix comprend très tôt les enjeux, qui lui assure sa place aujourd’hui. Aux Etats-Unis, fin 2015, 37% de la bande passante le soir est utilisée par Netflix (YouTube est deuxième avec 15%).
Quant à Tesla, qui peut remettre en cause aujourd’hui leur vitesse d'exécution et surtout leur audace ? Première start-up automobile à vraiment réussir aux États-Unis depuis Chrysler il y a 90 ans, ils se placent eux aussi au tout début de la courbe d’adoption d’une nouvelle technologie. Tesla crée le marché sur lequel il veut se développer : depuis 2012, elle étend son réseau de “Superchargeurs”, qui compte déjà 3000 stations de part le monde en 2015. Avec la construction de son usine de batterie (la GigaFactory), elle prévoit déjà de rentrer dans l’automobile grand public (la Model 3, commercialisée en 2017 pour 30 000 dollars hors subventions d’état).
3- La créativité et l’innovation comme moteur de la croissance
Adossés à des technologies plus ou moins complexes, les NATU ont toujours fait de l’innovation le moteur de leur développement, en utilisant toutes les ficelles possibles pour avancer.
L’open innovation. Netflix, en 2006, a lancé le Netflix Prize, un concours d’innovation avec une récompense d’un million de dollars pour quiconque parviendrait à améliorer leur algorithme de prédiction de notation des films par un facteur de 10%. Le source code fournit par les gagnants, parvenus à 8,43% d’amélioration, est encore utilisé aujourd’hui.
Dans le même esprit, Tesla a ouvert ses brevets à tous. Ce geste repose sur un calcul intéressé, car Elon Musk sait que son entreprise prospérera si le marché dans son ensemble s’oriente vers l’adoption du tout-électrique (extension du réseau de bornes de recharge, fin des obstacles psychologiques, etc). Mais ce geste de Tesla prouve aussi leur confiance dans leur capacité à rester à la pointe de la technologie.
L’expansion du produit. Uber sait que son software, basé sur la géolocalisation et la présence d’utilisateurs / fournisseurs de services se prête à bien d’autres verticales que le transport urbain.
Avec UberEats, par exemple, ils s’attaquent à la livraison de repas. Mais il y a aussi une myriade d’initiatives locales, pertinentes dans un contexte donné. UberBOAT permet de traverser le Bosphore à Istanbul, par exemple. Quant à UberCopter, il a permis, le temps du festival de Cannes 2015, de se déplacer en hélicoptère sur la Côte d’Azur. Mais l’innovation la plus significative pourrait être UberRUSH, service de livraison du “dernier kilomètre” à destination des commerces de proximité et qui les introduit dans la chaîne de valeur du e-commerce.
Cette stratégie d’extension prouve que la vraie valeur n’est plus dans la connaissance d’une verticale donnée, mais bien dans un software et surtout dans un savoir-faire : Uber maîtrise parfaitement les codes de la création de plateforme, et c’est ce qui fait leur force aujourd’hui.
L’innovation par l’utilisateur. Avec son concept de “local experience”, AirBnB laisse à ses utilisateurs la possibilité de proposer toutes sortes de services touristiques annexes. Du plus classique (visite de musées, balade en ville), au plus insolite (séance d’apéro à la française, roadtrip urbain à San Francisco en … Tesla). L’innovation produit vient ici directement des utilisateurs. Ces initiatives locales font office de test grandeur nature avant un déploiement mondial.
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La disruption touche maintenant tous les secteurs industriels
Il n’y a plus aujourd’hui d’industries protégées intrinsèquement du phénomène de disruption, car même les secteurs à très forte intensité capitalistique ou à forte complexité technologique sont aujourd’hui exposés.
Dans l’aérospatiale, SpaceX (entreprise “cousine” de Tesla), lancé en 2002, prend des parts de marché importantes à Arianespace mais surtout à ULA (joint venture entre Boeing et Lockheed Martin) : ils proposent des lancements de satellites militaires à partir de 90 millions de dollars contre 380 millions pour ULA, contraint aujourd’hui de se restructurer en vitesse accélérée. Comment SpaceX a-t-il réussi une telle prouesse ? En construisant des fusées comme le ferait une start-up technologique de la Silicon Valley : rationalisation extrême des coûts, internalisation des composants clés, inventivité et audace à tous les niveaux (la mise à jour du software des fusées peut se faire jusqu’à quelques heures avant le lancement, pour éviter à tout prix les retards, synonymes de sur-coûts).
En dehors de l’aérospatiale, l’industrie du nucléaire fait également figure “d’indisruptible”. Mais plusieurs start-ups sont pourtant sur les rangs. Par exemple, UPower Technology, qui développe des réacteurs nucléaires “portables” pour alimenter des petites villes et des bases militaires. Ou encore Helion Energy, qui prépare une fusion plus sûre et plus durable, au deutérium. Toutes deux sont passées par le Y Combinator et affichent de belles promesses.
Dans les télécoms, enfin, un nouvel acteur fait du bruit aux États-Unis : Google. Son offre Google Fiber s’étend de ville en ville et aurait déjà trouvé son business model : installation pour 300 dollars à la charge du client, puis internet 5 méga gratuit ad vitam. Une offre par abonnement avec le débit le plus rapide du monde (1 giga/s) et la télévision est également proposée. Comcast & AT&T ont commencé à améliorer leurs services en réponse, mais accusent déjà un retard sur ce segment.
La banque est également un exemple d’industrie ancienne aujourd’hui en phase avancée de disruption, avec la montée des FinTech. De jeunes start-ups mais aussi des géants établis (Google, Facebook, Apple) arrivent dans le monde des technologies financières et transforment ce secteur. En Chine, 200 millions de personnes ont déjà lié leur carte bancaire à leur compte Wechat, un réseau social ressemblant à Whatsapp. Par ailleurs, une autre lame de fond technologique risque de bouleverser le paysage en profondeur : l’arrivée des monnaies virtuelles décentralisées (bitcoins, litecoins), qui n’ont plus besoin d’intermédiaires.
Si la plupart des grandes banques françaises ont anticipé certains virages et proposent par exemple déjà des offres de banque en ligne, sont-elles prêtes aujourd’hui à faire face à l’ensemble des défis qui se profilent ? Rien n’est moins sûr.
Les grands groupes : s’auto-disrupter pour survivre ?
Réussir à innover dans les grandes entreprises n’est pas un challenge nouveau, mais il devient une question de survie lorsque rater un virage peut signifier une exclusion du marché en quelques années à peine. Qu’est-ce qui retient réellement les grandes entreprises à devenir les leaders de la rupture technologique ? Pourquoi n’est-ce pas Sheraton qui a conçu AirBnB ? Pourquoi Sony n’a-t-il pas créé l’iPod ? Pourquoi G7 n’a t-il pas lancé Uber ? Cette difficulté à innover peut s’expliquer, entre autre, par deux problématiques.
Au niveau stratégique : la peur de la cannibalisation. Steve Jobs n’a pas hésité à lancer l’iPhone contre l’iPod, en mettant iTunes sur tous ses téléphones. Ce faisant, il a pris le risque de se priver d’une des principales sources de revenus d’Apple et a tout misé sur le succès de l’iPhone :
“He was willing to cannibalize his iPod revenues, which were $5 billion a year, by putting the whole mp3 player right in every phone. And there were some people in the company who begged him not to do that. But he said he didn’t care.” Bill Gross, fondateur Idealab
La cannibalisation fait peur, car elle est synonyme d’auto-destruction et de perte de chiffres d’affaires direct. Pourtant, bien maîtrisé, ce processus de destruction créatrice est vitale pour la survie de l’entreprise, qui devient capable de prendre les virages technologiques au bon moment. La perte de vitesse de Nokia ou Blackberry de par la protection jusqu'au-boutiste de leur OS natif est à ce titre édifiante. Par peur de cannibaliser les parts de marché de leur propre Operating System, ces groupes ont toujours refusé de lancer des téléphones équipés des OS les mieux établis et les plus populaires. Nokia s’est depuis fait racheter par Microsoft, et Blackberry, au bord de la banqueroute, vient d’annoncer en novembre 2015 la sortie pour la première fois d’un téléphone dont l’OS est Android, s’ouvrant ainsi aux millions d’applications construits sur cette technologie. Leur dernière chance ?
Au niveau managérial : l’aversion aux risques. Dans le schéma de carrière “classique” dans la grande entreprise, l’employé gravit progressivement les échelons hiérarchiques année après année. Ce chemin traditionnel rend généralement les managers réfractaires à la prise de risques et plus focalisés sur le “jeu politique” et l’atteinte des objectifs à court terme. La proposition d’idées innovantes est rarement récompensée à sa juste valeur, ni même parfois encouragée.
“A Rome, fais comme les romains” : comment imiter les as de la disruption
La grande entreprise peut s’inspirer de la start-up pour favoriser la génération d’idée et l’innovation tout en gardant son identité qui fait sa force. Il existe de nombreuses solutions pour intégrer “l’esprit Start-up” au sein des grands groupes.
1- L’intrapreneuriat consiste en la création d’une nouvelle entité, un “spin off”, au sein de l’entreprise afin de transformer une idée en un business en adéquation avec la stratégie du groupe. Cette nouvelle entité bénéficie des nombreux avantages de la start-up (agilité, flexibilité) tout en bénéficiant de la robustesse apportée par la grande entreprise.
Un des principaux challenges rencontrés par l’intrapreneur réside dans l’adaptation au “corporate immune system” de l’entreprise, c’est-à-dire à sa hiérarchie, ses process et ses règles. De nombreux groupes ont réussi à mettre place un écosystème d’intrapreneurs efficace comme Xerox PARC ou encore Google, tandis que d’autres externalisent l’intrapreneuriat en passant par des cabinets de conseil en stratégie digital/design thinking, à l’image de Protect & Gamble qui a ainsi lancé son produit à succès le Swiffer. Développer un programme d’intrapreneurs permet également d’attirer de jeunes talents qui sont de plus en plus sensibles à l'entrepreneuriat et à l’esprit start-up !
2- Le Hackathon est un moyen redoutablement efficace de générer de nouvelles idées et d’assurer leur mise en place en un temps record (généralement durant des sprints d’un ou deux jours). Le hackathon commence souvent par une session de brainstorm, focalisée sur une problématique business précise et décidée en amont (expérience utilisateur sur un parcours clé, etc), et qui s'enchaîne avec les “pitchs” menés par les porteurs d’idées.
Les équipes qui se constituent sont cross-disciplinaires (marketing, développeurs, designers, data scientists, …), et doivent approcher le problème avec un regard neuf. Une version prototype du projet est alors développée à grande vitesse (communication direct, feedback instantané, focus) puis soumise à l’approbation d’un jury.
Dans certaines grandes entreprises qui ont testé cette approche pour résoudre des problématiques client ou produit, le succès peut être édifiant et vient parfois mettre un terme à des mois de flou et de retard sur des projets à long terme. Le hackathon permet d’obtenir un grand nombre d’idées créatives sur une problématique donnée, et d’assurer leur exécution accélérée tout en gratifiant les participants d'une expérience stimulante et valorisante.
3- L’incubateur permet d’intégrer et de favoriser le développement de nouvelles start-ups au sein même du groupe. Il ne s’agit pas ici d’accueillir n’importe quelles idées mais de se concentrer sur des jeunes entreprises dont la mission est en adéquation avec le positionnement et les objectifs du groupe.
A titre d’exemple, l’Orange Fab est un programme d’accélérateur de 3 mois pour start-up françaises qui “transforment la manière dont nous communiquons” (un beau succès avec 26 entreprises incubées en 4 ans). Bizlab d’Airbus propose aux “intrapreneurs” du groupe et aux start-up de les aider à “transformer des idées innovantes en succès commerciaux”. Start’inPost accueille des entreprises en lien avec l’activité du groupe La Poste.
L’incubateur ne doit pas être un outil de communication qui fait illusion mais un vecteur d’innovation et à terme de croissance pour le groupe. Pour réussir cela, le principal challenge est de parvenir à capturer la valeur créée par la start-up et à la réintégrer au sein de l’entreprise mère.
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Ces "barbares", pour reprendre l’expression de The Family, sont aux portes de toutes les industries, avec les NATU en fer de lance. Mais la métaphore guerrière s’arrête là. Pour survivre face à la disruption, l’entreprise doit faire le choix de l’imitation et non de la confrontation brutale. C’est en s’inspirant du meilleur proposé par les NATU et leurs semblables qu’elle pourra trouver les ressources et l’inspiration nécessaires à la construction de son avenir dans un monde en mutation constante.
L’entreprise doit embrasser ces nouvelles approches, favoriser l’émergence d’une culture interne tournée vers la créativité et la prise de risque, et, surtout, ne jamais cesser d’innover. La preuve ? Même les NATU ne s’arrêtent pas. Uber investit aujourd’hui des fortunes dans des partenariats avec des grandes universités américaines pour travailler sur la voiture autonome et prépare ainsi l’après-chauffeur, avec toutes les questions qu'une telle révolution risque de poser (chauffeur routier est le premier métier aux États-Unis en 2015).
Les NATU nous poussent ainsi à nous interroger sur les conséquences de l’innovation sur nos sociétés. Faut-il la ralentir pour se protéger, comme l’appelait de ses vœux récemment un ministre français, ou au contraire l’encourager, avec Peter H. Diamandis (chairman de la Singularity University), qui voit poindre en elle les promesses d’un monde meilleur ?
Sources :
Platform Power, Paul Choudary
The Zero Marginal Cost Society, Jeremy rifkin
Reinventing Your Business, Clayton Christensen
Les Barbares attaquent, The Family
Elon Musk: Tesla, SpaceX, and the Quest for a Fantastic Future, Ashley Vance
Destruction créatrice, Joseph Schumpeter
Zero to one, Peter Thiel
Abundance, Peter H. Diamandis
Netflix Techblog
Teslamotor Blog