La pression mise par les éditeurs de presse a porté ses fruits. La directive européenne appelée « le droit voisin » est entrée en vigueur en France depuis le 24 octobre. Google et dans une moindre mesure Facebook sont les deux plateformes ciblées par ce texte, car accusées de faire du profit grâce au contenu créé par des tiers, les éditeurs de presse. Immédiatement, le bras de fer s’est engagé. Avec un immense respect pour la presse, je pense que les éditeurs se trompent. Voici quelques humbles conseils pour leur éviter une énorme désillusion.
1. Abandonner leur mauvais postulat de départ : les Gafam ont toujours tort
Il est de bon ton aujourd’hui, dès qu’un secteur est à la peine, d’accuser les Gafam. Trop gros, trop puissants, trop omniprésents, trop haut-dessus des lois, Google et consorts sont très souvent considérés comme la cause de tous les problèmes.
Pourtant une multitude d’entreprises lutte avec brio et/ou profite des opportunités offertes par les Gafam. Les DNVB sont l’exemple le plus marquant. En créant des marques fortes, avec un système de distribution totalement intégré, elles échappent au monopole d’Amazon.
Mais puisque Google et Facebook semblent être le cœur du problème, prenons l’exemple des startups qui ont su profiter de ces plateformes pour se développer. Chef club par exemple, a développé un modèle hyper-rentable grâce à Facebook et Youtube notamment. La startup française crée un contenu riche et original, et le diffuse sur ces réseaux. Chaque vidéo lui rapporte ensuite une somme en fonction du nombre de vue, grâce à la publicité et au placement produit par exemple. Ces startups considèrent ainsi Google et Facebook non pas comme des « profiteurs » mais comme des « diffuseurs ». Je ne connais pas le fond de la pensée de leurs fondateurs, mais je suis prêt à parier qu’il ne leur est jamais venu à l’esprit de faire payer ces plateformes…
La publicité est d’ailleurs un procédé très largement pratiqué par les sites de presse, y compris dans leurs articles payants. Il semble ainsi que le modèle économique soit assez similaire : rechercher du trafic pour gagner de l’argent via la publicité.
2. Comprendre comment fonctionne Google
On peut penser ce que l’on veut de Google, mais croire que le géant acceptera de payer pour référencer du contenu est inconcevable. Google est devenu au fil des années LE point d’entrée du web, permettant à des milliards de sites d’être visibles, gratuitement, juste en travaillant leur contenu et en optimisant leur technique.
Google ne paiera jamais pour référencer un lien. Il n’est qu’un distributeur qui met un produit à disposition de clients. Imaginez-vous un primeur payer pour pouvoir proposer des légumes dans son étal ? Booking devrait-il rémunérer les hôtels pour les mettre en valeur sur son site avec de belles photos, et leur apporter des clients ? C’est bien plus souvent l’inverse qui se produit (et c’est légitime). De nombreux annonceurs payent Google pour être en tête des résultats, comme une marque paye pour être en tête de gondole dans un supermarché.
3. Ne pas oublier les exemples passés
En Europe, certains ont essayé de se passer des services du géant, pour plus ou moins les mêmes raisons, et ont rapidement fait marche arrière… Axel Springer, l'un des premiers éditeurs en Europe (Bild, Die Welt), a tenu son bras de fer pendant deux semaines en 2014, avant de céder. Souhaitant une rétribution au titre de la propriété intellectuelle, le Groupe s’était vu retirer images et descriptif pour chacun de ses liens. Le résultat ? Une chute de 40% du trafic et 100 000 € de perte par site. C’était il y a 5 ans, il y a fort à parier que les chiffres seraient bien plus effarants aujourd’hui.
Toujours en 2014, l’Espagne a fait passer une loi « non-négociable » qui a imposé à Google de rémunérer tous les liens reprenant les snippets d’un article de presse dans Google News. Google a immédiatement fermé son service, arguant qu’il ne générait pas de revenus et qu’il lui était donc impossible de payer. Une étude réalisée par une association d’éditeurs de presse espagnole montre que les conséquences ont été immédiates : de 10 à 15% de baisse de trafic immédiatement après la fermeture, 6% de trafic en moins quelques mois après l’entrée en vigueur, 14% pour les petits éditeurs.
Au-delà des chiffres l’exemple de l’Espagne est enrichissant dans son déroulé. Un peu comme aujourd’hui en France, c’est l’AEDE, l'association des éditeurs de quotidiens espagnols, qui a usé son pouvoir de lobbying pour inciter le pouvoir à légiférer. Mais au fur et à mesure des avancées et devant le refus de Google à négocier, l’association a fait marche arrière. Mais pas le gouvernement. La loi est donc passée et l’AEDE a immédiatement exprimé son inquiétude à travers un communiqué : « Les grands perdants seront les médias eux-mêmes, qui, avec la disparition de leurs informations du moteur de recherche, perdront du trafic sur leurs pages ». L’avenir leur a malheureusement donné raison.
4. Diversifier les sources de trafic
Certes, Google n’est pas exempt de tout reproche. Sa tendance à délivrer de moins en moins de trafic aux sites est d’ailleurs au cœur du problème. Mais c’est justement là l’occasion de s’émanciper du géant. La communication traditionnelle donne encore de bons résultats et les sources de trafic sur le web sont de plus en plus nombreuses. Pour des contenus de fond, on pense notamment à :
• Relayer sur les réseaux sociaux
• Croiser les contenus (Medium, Linkedin Articles)
• Participer à des sites de question/réponse comme Quora
Et pour les contenus d’actualité :
• Les réseaux sociaux également
• Les contacts directs (sms, messagerie, micro-blogging, etc)
La presse est pourtant armée en experts acquisition qui devraient lui permettre de relativiser sa dépendance à Google, si telle était sa volonté.
Attention tout de même, la loi vise aussi Facebook. En ce 28 octobre, la plateforme ne souhaitant pas rémunérer les éditeurs de presse, elle n’a laissé que le titre et le lien des articles partagés sur le réseau social. N’oublions pas que de très nombreux sites d’information sont nés grâce à Facebook et que tous les titres de presse ont largement profité du trafic qu’il leur a apporté. Attaquer Google est pour moi une aberration, mais faire de même avec Facebook en même temps est du suicide.
5. Finalement, remercier Google ?
Google n’aurait-il pas simplement créé une concurrence qui profite à tous ? Quel titre de presse pouvait se targuer d’un trafic plus important il y a 5, 10 ou 15 ans ? Il y a quelques années, tout le monde avait son titre de presse préféré en favori. Et pour acquérir de nouveaux lecteurs, il n’y avait que la publicité. Aujourd’hui, en produisant un contenu de qualité, bien référencé, il est possible à tous de générer du trafic, et donc des revenus publicitaires ou des abonnés payants.
Le « droit voisin » impose à Google de rétribuer les sites s’il utilise leurs snippets (image, titre, description). Mais c’est pourtant ce qui donne envie aux internautes d’aller lire la suite ! Imaginez-vous cliquer sur une simple url, sans description du contenu que vous allez trouver ? C’est donc bien Google qui a apporté de la valeur aux liens vers les articles des éditeurs de presse. Et aujourd’hui il faudrait qu’il paye pour ça.
Le monde a évolué, en bien ou en mal, ce n’est pas la question. Mais ce n’est pas à ceux qui innovent de se plier aux contraintes d’un monde ancien. Le train passe, et les éditeurs de presse ont intérêt à monter à bord, en se réinventant, plutôt qu'en essayant d’arrêter le train.
Le droit voisin est une aberration. Il n’est qu’une énième tentative de faire payer Google, parce que le géant contourne nos lois plus légitimes (impôts sur les bénéfices, tva, etc…). Surtout il ouvre la porte à d’autres secteurs que l’on espère plus tempérés. Les photographes ou illustrateurs pourraient demander des droits d’auteur à Google Images, Instagram, etc… Les e-commerçants à Google Shopping, les citoyens à Google Earth, les Youtubeurs à Youtube…
Je ne vois aucune raison objective pour que Google rétribue les éditeurs de presse pour proposer leurs articles sur son moteur de recherche. Et c’est à la presse de chercher à s’affranchir de la puissance de Google, pas à la loi.