En sommes-nous rendus à un monde binaire ? Un monde où service de qualité s’oppose à prix abordable – sans que l’inverse ne soit systématique : prix fort synonyme de service de qualité. 2020 devait marquer pour beaucoup d’analystes l’inversion du rapport de force entre le prix et l’expérience client comme critère d’achat numéro un des consommateurs, cette dernière dépassant le premier pourtant ancré depuis des décennies.
D’un point de vue consommateur, on est loin du compte. Et d’un point de vue cabinet de conseil, les explications sont très – trop – nombreuses.
Une évolution de la société vers toujours plus de rapidité
La société post-covid gardera ses habitudes de confinement. Elle cherche avant tout la facilité, dans sa façon d’acheter et d’utiliser. Nous avions publié une étude en sortie de confinement, il y a tout juste un an, qui mettait en valeur un changement profond et durable des habitudes d’achat des Français, vers plus de drive et de livraison à domicile. Mais cette enquête auprès de la population ignorait alors les événements qui allaient suivre et notamment la fermeture de nombreux commerces et restaurants pendant plus de 6 mois. Se sont alors imposés à nous le click and collect et la livraison à domicile, non plus comme un choix, mais comme un mode de consommation, qui perdure encore aujourd’hui, au fil de nos latitudes pourtant presque toutes retrouvées.
Pour les habitants de grandes agglomérations, le flot incessant des scooters et vélos estampillés Deliverro, UberEats ou JustEat n’a pas cessé sous leurs fenêtres. Pour les habitants de zones moins denses, les drives se sont multipliés [1]. Mais si l’idée est attrayante, le résultat l’est beaucoup moins. Les consommateurs ont choisi de se passer d’une ou plusieurs étapes dans leur processus d’achat (sortir de chez soi, entrer dans un magasin), et, quelle qu’en soit la raison, ont subi une baisse drastique de la qualité. Pour des commandes irréprochables, combien de pizzas retournées, de frites froides, de produits oubliés – ou non disponible, sans être remplacés – ou de pots de glace fondue ?
Le consommateur a donc choisi la rapidité et la praticité. Mais est-il pour autant prêt à renoncer au service et à la qualité ? À une époque pas si lointaine, lorsque l’on commandait une pizza, c’était le restaurant lui-même qui nous livrait, sans surcoût, proprement, et – le plus souvent – dans les temps. Lorsque l’on commandait un produit en ligne, le postier prenait la peine de sonner plutôt que de mettre directement un avis de passage. Lorsque l’on commandait un produit en ligne, le livreur venait nous apporter le colis à notre porte, plutôt que d’avoir – au choix et de manière de plus en plus irritante – à le récupérer dans l’ascenseur, à descendre le chercher dans le hall ou à devoir sortir à la rencontre d’un livreur qui ne sort plus de sa camionnette. Comment en est-on arrivé à consentir cette baisse de qualité – sans pour autant l’approuver ?
Cette course effrénée à la rentabilité demandée par les marketplaces ou les e-commerçants à leurs sociétés de livraison – ou micro-entrepreneurs sous-payés [2] –, couplée à l’omniprésence des comparateurs de prix, entraîne un dumping généralisé qui tirent les prix vers le bas et la qualité de service avec. Les oligarques de la livraison de repas ont déjà été cités, mais on peut allégrement leur accoler Amazon, champion de l’expérience client jusqu’au jour de livraison, et Uber, roi déchu des VTC, passé d’un service en costume cravate tenant la portière, à un chauffeur en survêtement passant ses appels pendant la course quand il ne nous impose pas sa radio ou sa playlist fétiche.
Des modèles émergent à l’opposé de l’ « uberisation » croissante
Le constat est dressé et il est amer. Tout le monde semble s’en plaindre, mais les entreprises historiques n’en prennent pas la mesure. Au contraire, la dégradation du service semble être une constante dans le monde d’aujourd’hui, dictée et imposée par la puissance de géants américains et anglais. Pourtant, c’est à l’opposé des tendances de consommation recueillies et observées. Le consommateur d’aujourd’hui et de demain veut du durable, du local, du sociétal, et il est prêt à payer pour cela. Si cela ne se traduit pas encore dans l’économie, c’est que les offres ont besoin d’être affinées. Mais les exemples de réussite sont nombreux, notamment dans d’autres secteurs, avec en tête le Slip Français, Respire, Jimmy Fairly ou encore Bergamotte.
Dans les secteurs « uberisés » également, des offres luttent avec brio face aux GAFAM, NATU et autres acronymes synonymes de surpuissance. On pense à Frichti dans la livraison de repas, à Coursiers.fr pour les colis, Heetch et Marcel comme VTC. On est en face de services souvent plus chers – quoique pas systématiquement –, mais avec une promesse qualitative et sociétale au cœur du projet. Même notre représentant national au sein du triumvirat de la livraison, JustEat, prend ce virage en signant des CDI à ses livreurs auparavant indépendants [3].
Toutes ces réussites sont le signe qu’une expérience client globale (produit, service, communication, valeurs, etc.) comme obsession première de l’entreprise, mène à la croissance et à la prospérité.
Explications principales et axes d’amélioration
Pourquoi toutes les entreprises n’empruntent-elles pas cette voie ? La première raison réside dans la taille de l’entreprise. Lorsqu’on est une multinationale, baisser les coûts est une solution qui se met en œuvre le plus souvent sans accros. Alors que de changer de paradigme non. Réduire les ressources affectées au service du client est facile et permet de baisser les prix pour faire face au dumping de ses concurrents. Casser les silos entre services pour proposer une expérience client omnicanal sans couture est autrement plus engageant, même si les retombées à moyen et long termes ouvrent des perspectives bien plus exaltantes.
Quoique la startup nation à la Française puisse s’attirer comme railleries, une entreprise jeune, petite et/ou flexible dispose d’une marge de manœuvre que les grands groupes n’ont pas. Mais la taille n’est pas la seule raison. L’état d’esprit est également primordial. Les Uber, Amazon et autres Deliveroo ont d’abord pénétré leurs marchés respectifs avec un niveau de service très haut et un prix très bas. Puis, après s’être rendus incontournables, ils ont réduit les écarts pour arriver à un équilibre demandé par le niveau de rentabilité. Mais ils restent à des niveaux de prix plus bas que les acteurs historiques disruptés. Ces derniers ont alors cherché à concurrencer ces nouveaux acteurs frontalement, en recherchant le même niveau de prestation au même prix. Ils n’ont pas cherché à apporter plus ou différent au consommateur. En ce sens, ils ont eu un comportement de suiveur, plutôt que de leader, laissant la main à des DNVB sur le premium.
État d’esprit rime ici avec culture d’entreprise. L’état d’esprit de suiveur se reflète parfaitement dans le schéma organisationnel strict et siloté inhérent aux grands groupes. Ce n’est pas une critique, ils ont été bâtis de la sorte et cela a sans doute été une des clés de leurs succès. Mais aujourd’hui, ces silos les empêchent de répondre aux nouveaux enjeux de leurs marchés.
Les axes d’amélioration, s’ils restent complexes à appliquer, s’identifient clairement.
Faire évoluer son modèle d’entreprise vers l’expérience
Une entreprise ne vend plus un produit ou un service, elle vend une expérience. Il n’y a même plus de marketing et de vente, il y a une expérience de marque et une expérience d’achat. L’entreprise est jugée et aimée à travers l’expérience qu’elle offre depuis le premier contact avec son client jusqu’à l’utilisation finale. Tout n’est pourtant pas à jeter dans les offres des entreprises, mais ces dernières doivent comprendre qu’à leur chiffre d’affaires, leur EBITDA ou leur résultat, il faut ajouter comme KPI le NPS ou les commentaires sur les réseaux sociaux. Et donc faire évoluer leur modèle dans ce sens.
Innover, sans cesse et pas uniquement technologiquement
Des stratégies de suiveur peuvent permettre dans de rares cas, d’exister face au disrupteur, voire de le concurrencer sérieusement (Cdiscount face à Amazon). Mais on reste dans l’exception. Lorsque quelqu’un arrive sur son marché et le remporte rapidement, c’est qu’à l’origine, le service offert n’était pas optimal par rapport au besoin. Dès lors, il appartient à l’entreprise disruptée de réagir, certes en concurrençant le nouvel arrivant sur ses propres moyens afin de lui éviter de remporter tout le marché, mais également en offrant plus et mieux ! Tout le monde a des défauts, il appartient alors de savoir identifier ceux de ses concurrents et de se positionner en face. On est là dans une démarche marketing dans son sens le plus basique. Mais la communication seule ne suffit pas. Il ne s’agit pas seulement de prendre la parole, mais de proposer des solutions concrètes.
Casser les silos
C’est sans doute la difficulté majeure. Au sein d’organigrammes établis, segmentés, où chacun défend ses prérogatives, la collaboration est souvent complexe. Les jeux de pouvoir empêchent le progrès et tout l’enjeu réside dans la création de canaux de communication, là où ils sont a priori impossibles. On a tous en tête des exemples d’opposition entre commerce et marketing ou entre IT et UX. Et lorsque le dialogue est impossible, l’apport d’un partenaire ayant la connaissance de tous ces métiers et pouvant intervenir sur toute la chaîne de valeur s’avère souvent décisif.
Ces trois chantiers ne sont pas les seuls. Mais ce sont ceux que nous rencontrons le plus fréquemment chez nos clients. Et ils sont sans aucun doute les plus complexes, mais par conséquence les plus challengeants. Et nous adorons les mener collaborativement avec nos clients.
Sources :
[2] https://www.reconversionprofessionnelle.org/salaire-livreur/